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Lampedusa

Bonjour à tous,

je m’appelle Charles Vibert et je suis en première au lycée français Charles de Gaulle. Aujourd’hui je vais avoir la chance de vous parler d’une expérience que j’ai pu vivre cette année et qui m’a particulièrement touché. En lien avec le Lycée français, j’ai participé à un projet à Lampedusa du 29 septembre au 4 octobre 2022.
Pour ceux qui ne la connaissent pas, Lampedusa est une petite île italienne au milieu de la méditerranée de 20 km2 et d’environ 6000 habitants. Cette toute petite île est située au large de la Tunisie et elle est à mi-distance entre la Sicile et les côtes Libyennes. Si cette île a une notoriété, ce n’est pas pour ses belles plages ou son joli port mais car elle est le lieu de catastrophes humanitaires. À cause de sa localisation géographique, l’île se retrouve en plein de milieu d’un des plus grands drames humains du XXIe siècle qui est l’immigration par la mer méditerranée. C’est justement en lien avec ses enjeux que j’ai passé 5 jours à Lampedusa où j’ai pu me rendre compte de l’ampleur du phénomène et où j’ai eu la chance de rencontrer de nombreuses personnes luttant contre ces catastrophes et aussi de discuter avec des gens qui les ont vécues.

Depuis de nombreuses années maintenant des milliers de personnes traversent la mer méditerranée dans l’espérance d’une vie meilleure. Ces personnes venant de nombreux pays notamment la Somalie, l’Erythrée, le Soudan et bien d’autres… fuient la guerre, la répression politique et la misère dans leur pays pour commencer une nouvelle vie loin de toutes ces horreurs et ces drames. Parfois en famille, dans la plupart des cas seules, beaucoup de ces personnes passent par la Libye qui est aussi un lieu d’atrocité. Là-bas, ces pauvres gens se font dépouiller, voler, emprisonner et torturer par des milices ou par leurs propres passeurs qui les avaient emmenés jusque-là. Toutes ces personnes, espèrent pour la plupart une seule chose, prendre le large direction la méditerranée. Pour ceux-là, Lampedusa est leur arrivée, le premier bout de terre d’Europe marquant le début d’une nouvelle vie.

Seulement, ce voyage de 3 à 5 jours n’est pas un long fleuve tranquille. Les migrants se retrouvent entassés sur des embarcations de fortunes livrés à eux même face à la mer. Ce passage est extrêmement périlleux et malheureusement nombreux perdent la vie lors de cette ultime traversée. C’est ce qui s’est passé le 3 octobre 2013. Un chalutier provenant de la Libye avait à son bord 500 migrants provenant pour la plupart d’Erythrée et de Somalie. En pleine nuit alors qu’il était à moins de 2 kilomètres de l’île, le bateau a pris feu à cause d’une fuite de fioul. Certains sautèrent rapidement du bateau qui se renversa. Parmi les 500 passagers à bord, 366 sont morts ce jour-là. Des pêcheurs parvinrent à en sauver quelques un mais cela ne put éviter le désastre.

C’est en lien avec cette nuit-là qu’exactement 9 ans plus tard, je suis allé à Lampedusa.
Un des survivants, Tareke Brahne, a décidé de marquer cette date et de faire en sorte que cela ne se reproduise plus. 3 ans plus tard, il a créé le Comitato 3 ottobre qui est une association œuvrant pour la mémoire de cette tragédie et qui cherche à sensibiliser les citoyens européens et surtout les jeunes sur l’immigration en méditerranée. Tous les ans lors de la semaine du 3 octobre, des milliers d’élèves venant de partout en Europe, beaucoup d’Italie mais aussi de France, de Pologne de Grèce et de bien d’autres pays se retrouvent à Lampedusa pendant une semaine. J’ai pu faire partie de ces élèves cette année. Pendant ces quelques jours nous nous sommes rencontrés entre jeunes et nous avons participé à des ateliers réalisés par des organisations aidant les migrants. Beaucoup étaient des ONG comme Médecins sans Frontières qui s’occupent de soigner les personnes fuyant leur pays ou des associations moins connues mais tout aussi essentielles qui viennent en aide aux migrants pour les aider avec les tâches administratives qui peuvent être très complexes, pour les aider à trouver des emplois ou bien plus encore.
Des acteurs politiques étaient aussi présents, le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU a fait de la sensibilisation, l’union européenne était engagée et la présidente du parlement européen nous avait envoyé une vidéo encourageant le projet. Les pouvoirs publics italiens soutenaient aussi le projet et le précédent président de l’assemblée nationale italienne était présent.

Parmi toutes ces rencontres, une de celle qui m’a marqué le plus fut celle avec les gardes côtes italiens qui m’ont accueilli sur leur bateau. En plus de me faire visiter leur navire, nous avons beaucoup discuté de leurs missions au quotidien. Certaines missions de sauvetages sont très complexes mais tous me dirent à quel point ce métier les avaient transformés humainement. Et bien que cela puisse être très éprouvant physiquement et aussi mentalement, ils disaient que se lever tous les jours et sauver la vie de gens en danger, pour eux, il n’y avait rien de plus beau !

Après ces quelques jours de conférences et de discussions, est arrivé le 3 octobre.
Certains des survivants de la tragédie, vivant maintenant un peu partout en Europe, sont retournés à Lampedusa ce qui fut un moment très important pour eux. Certains revenaient pour la première fois depuis le naufrage et étaient donc extrêmement émus. Nous avons pu échanger avec eux. Ces échanges furent très marquants et nous permirent à tous de voir la vie différemment après avoir entendu quelque chose d’aussi poignant. Nous nous sommes ensuite tous dirigés vers le monument principal de l’île qui est la Porta dell’Europa.

C’est une porte symbolique située au bout de l’île qui, lorsqu’on la traverse, symboliquement, on change de continent. Ce lieu sert à commémorer toutes les personnes qui ne purent atteindre cette porte. Lors de la commémoration, plusieurs personnes prirent la parole dont certains survivants, le Maire de Lampedusa, le président de l’assemblée nationale italienne qui prononça son dernier discours en poste et surtout deux représentants religieux. L’évêque de Palerme et l’Imam de Catane firent ensemble sur la même estrade une commémoration et une prière pour tous ceux qui sont morts en mer. Après avoir récité le nom de chaque personne morte lors du naufrage, nous avons lancé des fleurs dans la mer en mémoire de tous ces disparus.

Réciter leur nom est quelque chose de très important car trop souvent le phénomène de l’immigration n’est qu’un chiffre. Une donnée avec un tel nombre de personnes traversant les frontières mais nous oublions que derrière chaque chiffre, il y a une personne avec une famille, une histoire, un parcours et des rêves. Nous ne pouvons pas cacher des vies humaines derrière des simples statistiques qui permettent aux politiciens de les utiliser dans un sens comme de l’autre. En effet l’immigration est devenue un sujet politique et trop souvent nous mettons de côté le fait que ce sont avant tout des humains comme vous et moi.

Alors que la guerre a fait son retour en Europe et que de grandes vagues d’immigrations sont apparues cette fois à l’intérieur de notre continent, nous ne devons oublier personne. La solidarité qui a permis d’accueillir des milliers d’ukrainiens fuyant la guerre et les réseaux de solidarités qui se sont mis en place partout sont des exemples incroyables de tout ce que nous sommes capables de faire pour aider les gens fuyant leur pays. Seulement il serait ridicule de faire une distinction entre les migrants venant de certains pays comparés à d’autres car ce sont tous des personnes qui souffrent et aucune ne doit être laissée de côté. L’exemple de l’Ukraine nous montre que nous sommes capables de grandes choses quand nous le voulons et je pense que particulièrement en tant que chrétien c’est notre rôle d’aider toutes les personnes exclues et dans la souffrance qui encore trop souvent sont laissées sur le côté. Je pense que nous pouvons aussi penser tout particulièrement à ceux traversant la mer méditerranée et les confier dans nos prières.

Charles